Pierre Laffitte : Sophia Antipolis, terre de start-ups
Les créateurs d'entreprises commencent à comprendre qu'il vaut mieux détenir 10% d'une affaire qui vaut dix milliards que 100% d'une affaire de 10 millions" explique le fondateur de la technopole azuréenne pour qui, apporter des capitaux aux entreprises innovantes, est l'un des chevaux de bataille.
Sophianet : Le développement des start-ups à Sophia Antipolis a-t-il été freiné par la difficulté à trouver des fonds propres en France ?
Pierre Laffitte : Dès l'origine, mon idée était d'attirer à Sophia Antipolis des sociétés innovantes et de développer une culture d'entreprise de type californien. J'ai tenté de faire comprendre en France que ces sociétés nouvelles peuvent être, à condition qu'on les aide, la poule aux oeufs d'or de l'économie française... J'ai parfois eu l'impression de prêcher dans le désert !
Le financement de ces sociétés en France s'est avéré moins facile qu'aux Etats-Unis, d'abord à cause d'un malentendu, lié à un manque de culture financière : on a beaucoup reproché aux banques de se montrer frileuses et de ne pas soutenir les start-ups. Or le capital-risque n'est pas leur métier. Ensuite les créateurs voulaient la plupart du temps rester maîtres de leur entreprise.
Avec mon équipe de la Fondation Sophia Antipolis ( /www.sophia-antipolis.org"> www.sophia-antipolis.org) nous avons organisé de nombreuses rencontres et colloques pour mettre en contact investisseurs et créateurs d'entreprise. Ces derniers commencent à comprendre qu'il vaut mieux détenir 10% d'une affaire qui vaut 10 milliards que 100% d'une société qui vaut 10 millions !
Comme sénateur, je me suis également battu à plusieurs reprises pour changer la fiscalité et encourager l'investissement en faveur des sociétés innovantes. Je me suis heurté aux services fiscaux de plusieurs ministres du budget ! Dix ans après, ce combat porte enfin ses fruits, avec la mesure qui institue les Fonds communs de placement innovation.* On pourrait aller plus loin, avec des conditions moins restrictives, par exemple en supprimant les plus-values de cession dans le cas d'un réinvestissement dans une nouvelle société.
SN : Quel est selon-vous le profil de la start-up qui a le plus de chances de connaître une croissance rapide ?
Pierre Laffitte : Les Américains distinguent trois types de start-ups : la 'pap-mum', société familiale qui crée certes des emplois mais a des ambitions modestes ; la 'life style', dont le créateur a surtout envie de gagner de l'argent pour lui-même et de s'offrir une belle voiture ; et enfin l'IPO - Introduction to Public Offering - la start-up qui vise un marché mondial, a une capacité de croissance rapide et le potentiel pour entrer sur le NASDAQ. C'est bien sûr cette dernière qui intéresse les business angels et les sociétés de capital-risque !
SN : Y-a-t-il des 'IPO' à Sophia Antipolis ?
Pierre Laffitte :Oui, bien sûr. Beaucoup d'entre elles n'apparaissent plus comme start-ups, car elles ont été rachetées par des grandes entreprises, comme l'équipe de M. Boulanger qui a créé un logiciel de visioconférence sur MacIntosh et a rejoint le groupe SAGEM comme responsable de la R&D, ou la société de Christophe Dupont dont le moteur de recherche sur Internet, Echo, a été racheté par France Télécom.
Contrairement à la Silicon Valley, nous manquons encore d'outils pour bien comprendre ce phénomène des start-ups. J'aimerais disposer ici de l'équivalent de l'étude menée par le Bay Area Economic Forum, qui a fait une étude très précise des zones les plus dynamiques des Etats-Unis en matière d'innovation, et qui montre par exemple que le nord de la Californie a drainé en 1998 34% des 12 milliards de $ investis dans les entreprises américaines, avec un poids important du secteur des NTIC et des biotechnologies. Je suis convaincu que si l'on faisait la même étude en Europe, Sophia Antipolis figurerait en très bonne place.
SN : Quels sont les progrès qui restent à accomplir pour encourager encore davantage le développement des start-ups ?
Pierre Laffitte : Des progrès en matière de financement de proximité : c'est pourquoi nous favorisons l'installation de capital-risqueurs. Par exemple la société de gestion Paris Lyon Sophia Venture Capital Partners présidée par Patrick Revenu est domiciliée à la Fondation Sophia Antipolis. Elle gère deux FCPI, InnovaFrance et InnovaFrance 99 ( /www.innovafrance.com"> www.innovafrance.com). Le FCPI permet à ses souscripteurs de réaliser une économie d'impôts en apportant des capitaux propres à une jeune société innovante : un couple peut désormais investir jusqu'à 150.000F par an.
Les starts-ups manquent également de dirigeants capables de manager des sociétés à développement rapide : je suis en contact avec un cabinet de chasseurs de tête de Paris que j'espère voir venir s'implanter ici. Les start-ups expriment aussi le besoin d'un appui immatériel, sous forme de réseaux, de contacts... Pour répondre à ces attentes spécifiques, nous venons de créer, avec le soutien de la Région, un club des Sociétés à Croissance Rapide. Je crois également beaucoup à la coopération entre technopoles européennes : nous sommes en train de signer des conventions avec Berlin, Moscou, Londres et Stockholm dans l'idée de favoriser le développement des start-ups.