La disparition de Pierre Laffitte : Sophia Antipolis perd son infatigable visionnaire
L'annonce du décès dans la nuit de mardi à mercredi du père de Sophia Antipolis a suscité une forte émotion dans la technopole. De 1960, quand est partie l'idée d'un "Quartier Latin aux champs" à aujourd'hui, Pierre Laffitte, le visionnaire, aura porté la création de la première technopole d'Europe. Sa disparition à l'âge de 96 ans, laisse un grand vide. Les obsèques seront célébrées mardi 13 juillet à 10h30 à Saint-Paul de Vence.
Il y a des personnages hors norme que l'on pense immortels. Pierre Laffitte, le père de Sophia Antipolis, était l'un d'eux. Annoncée mercredi matin, sa disparition à l'âge de 96 ans (un arrêt cardiaque dans son sommeil), a aussi créé un vrai choc et a été ressentie par les membres de la communauté sophipolitaine, comme la perte d'un être cher, d'un père spirituel. Car il n'était pas uniquement celui qui a bâti la première technopole technologique européenne, parfois contre vents et marées. C'était aussi un visionnaire. Celui qui savait saisir les tendances des nouveaux mondes naissants, les décrypter et les mettre en musique. (Photo WTM : Pierre Laffitte en compagnie de son épouse Isabelle, lors de l'hommage qui lui avait été rendu pour son 90ème anniversaire).
La création de Sophia Antipolis en donne un exemple en grand. De l'idée d'un "Quartier Latin aux champs", lancée dans un article du quotidien Le Monde en 1960, jusqu'à aujourd'hui, en passant par la naissance de Sophia Antipolis en 1969, il a porté avec conviction une vision : l'avenir appartient au savoir, à la matière grise, à la réunion des talents. Pour lui, il fallait absolument créer une cité à la campagne qui soit vouée à la création, à l'intelligence et par voie de conséquence à la modernité économique, culturelle et sociale pour assurer les synergies et les fertilisations croisées.
Paris pouvait rire. Comparer cette idée à celles d'un certain Ferdinand Lops, inlassable candidat à la présidence de la République après-guerre, sur un programme d'arrestation de la bande Velpeau et de prolongation du boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer et dans les deux sens. Mais dans la vague de 1968 et avec la promesse de 20.000 emplois à créer, l'Etat a finalement suivi. Ce qui n'était qu'une utopie s'est peu à peu concrétisé. Tout n'a évidemment pas été facile avec des hauts et des bas, des certitudes et des moments d'incertitudes. Mais la cité de la sagesse s'est bâtie et la promesse initiale a été plus que tenue : la technopole fleurte aujourd'hui avec les 40.000 emplois.
Son dernier combat, Pierre Laffitte le menait contre l'emballement climatique. A l'occasion des 50 ans de Sophia Antipolis en 2019, il avait consacré l'une de ses dernières interventions publiques à cette question fondamentale du climat. Il plaidait pour que Sophia s'engage dans la lutte contre le réchauffement climatique en saisissant l'occasion d'un grand plan climat européen qui pourrait être doté de 1.000 milliards d'euros. Une "standing ovation" lui avait été réservée.
Pierre Laffitte, dont l'esprit restait d'une rare vivacité, avait continué aussi à nous éclairer. Sa disparition nous laisse orphelins. Une page de la technopole se tourne.
Photo WTM : Le Club Sophia Business Angels avec Candace Johnson avait rendu hommage à Pierre Laffitte, fin octobre 2019, club dont il était l'un des fondateurs.
Les réactions
Jean Pierre Mascarelli, président de la Fondation Sophia Antipolis, président délégué du SYMISA. "Pierre était un homme visionnaire, chaleureux et profondément humain. Viscéralement attaché au territoire, son engagement politique se fonda sur un fort enracinement dans les Alpes Maritimes, conseiller municipal à Saint Paul de Vence et sénateur des Alpes Maritimes, il a transformé la physionomie de notre territoire et a été capable de donner à l'industrie française une place éminente à travers la création de Sophia Antipolis. Il a su libérer les énergies de l’innovation en inventant le concept de fertilisation croisée cher à son cœur."
"Par son activité inlassable au Sénat (de 1985 à 2008 ) en particulier en tant que Vice-président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, il a permis de faire avancer avec audace et ténacité les grands défis du numérique et faire émerger de nouveaux modèles de développement territorial. C'est le pays tout entier qui voit disparaître un esprit libre, attachant et audacieux."
Jean Leonetti, président de la Communauté d'Agglomération de Sophia Antipolis a salué "l'esprit visionnaire qui plantait en pleine garrigue les graines de ce qui allait devenir la première technopole d'Europe."
David Lisnard, maire de Cannes. Pierre Laffitte "était un esprit fertile par la fulgurance de ses idées et visionnaire par leur projection dans l’avenir. Il restera une figure marquante de notre département, tant pour ses recherches scientifiques que pour son engagement politique ; et le concept même de Sophia Antipolis qu’il a su penser en intellectuel et concrétiser en homme d’action." Et de rappeler : "j'ai eu la chance de travailler à ses côtés à la Fondation Sophia Antipolis, il y a plus de 20 ans. Et il avait tenu à être présent au tout début de mon mandat de Maire, en 2014, pour inaugurer notre pépinière d’entreprises cannoise.
Depuis notre collaboration à Sophia Antipolis, nous avons nourri une relation amicale, souvent épistolaire. Aujourd’hui, je garde un souvenir ému de nos échanges passionnants, de son esprit imaginatif, curieux et porté sur le monde. Son soutien, ses idées et sa créativité vont me manquer, comme à notre pays."
Christian Estrosi, président de la Métropole Nice Côte d’Azur rappelle qu'"en plus d’avoir été un visionnaire pour notre territoire, il a marqué le paysage de l’innovation française par-delà les frontières". Et d'ajouter "Je garde de lui l’image de quelqu’un de simple, modeste et ouvert sur les autres. Sous ses aspects de Professeur Nimbus, c’était aussi une personnalité extrêmement pragmatique qui, en tant que sénateur, s’est toujours montré proche et à l’écoute des gens de la montagne et de la ruralité des Alpes-Maritimes. Cela ne lui faisait pas non plus oublier les grands enjeux urbains sur lesquels il se prononçait avec expertise. Souvent à mes côtés dans la Vésubie et dans la Tinée, il avait le don de tisser avec chacun un lien particulier."
Charles-Ange Ginésy, président du Département, évoque le parcours politique de Pierre Laffitte et la naissance de Sophia Antipolis. "Polytechnicien, ingénieur des Mines, il est élu en 1968 conseiller municipal de Saint-Paul-de-Vence, où il était né le 1er janvier 1925, et devient sénateur des Alpes-Maritimes en 1985 jusqu’en 2008. Fin des années 60, s’inspirant de ce qui est alors en train de se développer aux États-Unis, la Silicon Valley en Californie, le Triangle Park de Caroline du nord, il convainc le Conseil général des Alpes-Maritimes, alors présidé par Francis Palmero dont il était proche, de le suivre dans son projet de "quartier latin aux champs", d’abord en décentralisant une partie de la matière grise des laboratoires de recherche de l’École des Mines sur 10 hectares de terrain, au nord d’Antibes.
"A de nombreuses reprises, j’ai eu l’occasion de côtoyer cet homme de cœur et de conviction, soucieux de proximité, de disponibilité et d’attention aux autres. Son esprit a d’évidence habité les cérémonies des 50 ans de Sophia Antipolis en juin 2019 auxquelles j’ai participé".