Dominique Jolly (SKEMA) : où va la Chine ?
Pourfendeur des "sino-béats" dans son livre "Chine: Colosse aux pieds d’argile" paru l'an dernier, ce professeur de Stratégie d’Entreprise à SKEMA Business School, professeur visitant à CEIBS (Shanghai, Chine), parie sur un atterrissage en douceur de l'économie chinoise, sur sa montée en gamme et son passage de l'export à une économie de la consommation. Avec toujours à la clé de belles opportunités pour les entreprises françaises...
La Chine fait depuis quelques semaines la Une de l'actualité économique. Des interrogations sur sa croissance ont fait plonger à plusieurs reprises les bourses mondiales. Ses milliardaires détonnent, ses villes tentaculaires rongées par la pollution interpellent. Ses rachats d'entreprises européennes et notamment françaises étonnent, tandis que ses touristes aux selfies déferlent. L'Empire du milieu est plein mouvement. Dernier en date : le grand revirement sur l'enfant unique avec l'annonce hier jeudi de la fin officielle de la politique de l’enfant unique. Où va la Chine? C'est ce que nous avons demandé à un de ses spécialistes : Dominique Jolly. Auteur du livre "Chine: Colosse aux pieds d’argile" paru l'an dernier, ce professeur de Stratégie d’Entreprise à SKEMA Business School à Sophia Antipolis, professeur visitant à CEIBS (Shanghai, Chine), s'était attaché aux forces et faiblesses de ce géant planétaire. Il livre sa vision.
"On est dans le soft-landing, l'atterrissage en douceur"
Locomotive de la croissance mondiale, la Chine est-elle en train d'atterrir brutalement? "Je ne le pense pas. Certes, deux événements importants ont marqué depuis l'été : l'effondrement des bourses de Shanghai et Shenzhen fin août et l'explosion début août de l'usine de Tianjin, dans un nouveau district située à quelque 150 kilomètres au sud-est de Pékin. Ils ont donné une image négative et ont eu un impact sur la crédibilité et la confiance dans la Chine. Mais en dépit de cela, je maintiens que l'on est dans le "soft-landing", l'atterrissage en douceur."
"L'objectif de la Chine, aujourd'hui, est de passer d'une économie de l'export à une économie de consommation intérieure. Il faut savoir que le pourcentage actuel de la consommation intérieure chinoise est ridicule par rapport même aux pays émergents. Pour schématiser cette consommation se résume à la voiture et l'appartement."
"La voiture reste fragile : les grandes villes sont obligées de réduire les entrées de nouveaux véhicules. Pour cela, elles limitent le nombre de plaques d'immatriculation délivrées. A Pékin par exemple, ville de gouvernement, après avoir acheté la voiture, vous devez participer à une loterie pour l'immatriculation. Si vous ne l'avez pas au tirage du jour, vous devez revenir. A Shanghai, ville de commerce, les immatriculations se règlent par un système d'enchères. Ce qui peut doubler le prix de la voiture. L'immobilier, lui, a flambé. Sur Shanghai, les prix ont été multipliés par cinq en dix ans, de 2004 à 2014. Difficile de dire si ces deux piliers, voiture et immobilier, vont continuer à porter à elles-seules la consommation intérieure".
"La Chine devrait réussir sa montée en gamme"
"Mais la Chine devrait réussir sa montée en gamme. Elle a mis en place tous les ingrédients d'un système d'innovation. Elle a de bonnes universités, des centres de recherches, des parcs scientifiques bien plus grands que celui de Sophia Antipolis, des centres de R&D notamment étrangers (plus de 1.500). Cela se traduit par une production annuelle de brevets qui dépasse celle des Etats-Unis (700.000 brevets chinois contre 500.000 américains). Seul bémol : pour l'instant, il s'agit surtout d'innovations incrémentales et non d'innovations de rupture. Si la Chine fait désormais des produits high tech, si elle automatise son industrie (Foxconn, l'atelier d'Apple est le plus gros acheteur de robots), il faudra qu'elle ait des produits innovants. Le réussira-t-elle? Sa culture millénaire le permettra-t-elle?"
En préparation, une petite Encyclopédie du business en Chine
Dominique Jolly qui, dans son livre, stigmatisait les "sino-béats", n'en reste pas moins sur ses positions devant une Chine qui change à grands pas : ce pays continue de présenter d'immenses opportunités pour les entreprises européennes dont les françaises. "Exemple pour la pollution. Elle peut se lire avec deux entrées : le ying, les Chinois détruisent le climat; le yang, la vision ensoleillée, le marché est énorme pour toutes les technologies propres."
Aussi, pour mieux fixer les idées, Dominique Jolly termine l'écriture d'une petite encyclopédie du business en Chine. En 200 mots, de la bourse à l'immobilier en passant par les achats d'entreprises étrangères (Sunseeker, Ferretti, Club Med, Pirelli, Volvo…), l'innovation, l'environnement, la corruption, l'armée, etc. l'essentiel à savoir pour mieux comprendre cette Chine des affaires. Et en saisir les opportunités.
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