Contes : quand Lafarge brûle pour Grasse
En incinérant dans ses fours les déchets des parfumeurs et les huiles usagées, la cimenterie parle de 'valorisation'. Mais les riverains répondent 'dioxine'…
Fut un temps, la vallée du Paillon, au nord-est de Nice, a mérité deux surnoms colorés : la 'vallée rouge' pour la couleur politique de ses maires, et 'la vallée blanche' à cause des poussières générées par ces cimenteries ! Aujourd'hui, elle aimerait mieux se voir traiter de 'vallée verte'. La problématique 'économie-environnement' s'y illustre de façon très actuelle avec des relations parfois conflictuelles entre cimentiers et associations de défense de l'environnement.Le détonateur a d'abord été, en 1998, le projet de l'usine de Lafarge de Contes de brûler dans son four des déchets industriels. A présent c'est l'usine Vicat de Blausasc dont l'exploitation d'une troisième carrière suscite une nouvelle levée de boucliers.Le brûlage des déchets industrielsEn France et en Europe, de nombreuses cimenteries mettent leurs équipements au service du brûlage des déchets industriels spéciaux (D.I.S). Dans les Alpes-Maritimes, le traitement des déchets issus notamment de l'industrie des parfums et arômes de Grasse n'avait pas de solution satisfaisante, la mise en déchetterie et l'épandage présentant des risques environnementaux. En coopération avec la DRIRE (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement), l'usine Lafarge de Contes s'est proposée pour brûler ces déchets : 'Il s'agit d'une vraie valorisation,explique Thierry Legrand, directeur de l'usine. 'Brûler des huiles usagées plutôt que des combustibles fossiles permet des économies d'énergie et une valorisation des déchets. Le gain est à la fois économique et écologique.'Pas sûr ! répond l'association Paillons Environnement, très hostile au projet. Elle affirme que 'des études scientifiques ont montré que l'incinération de déchets industriels spéciaux produit des toxines, furannes et métaux lourds.' Dans une lettre ouverte à D. Strauss-Kahn, alors Ministre de l'Industrie, elle l'accuse, 'de choisir, avec Lafarge, de nous faire mourir à petit feu ou à petit gaz, de choisir les profits privés plutôt que la santé des citoyens...'Les mesures récentes effectuées par un laboratoire indépendant, Carso, démontrent pourtant l'absence de dioxines.Une autorisation négociéeLe projet a fait l'objet d'une enquête publique et d'une étude de l'ADEME. Le préfet a signé un arrêté préfectoral en décembre 1998 autorisant Lafarge à brûler 20 000 tonnes de D.I.S. 'Nous avons participé à la négociation et obtenu que le projet soit ramené à des proportions raisonnables', témoigne Jean-Raymond Vinciguerra, conseil général, suppléant du député André Aschieri (Les Verts) et secrétaire régional de FARE sud (Fédération d'actions régionales pour l'environnement).'Le projet initial portait sur un tonnage de déchets beaucoup plus important et sur le brûlage de déchets industriels spéciaux plus toxiques. Ces DIS relèvent normalement du plan régional d'élimination des déchets industriels, et l'usine de Lafarge n'est pas nomenclaturée dans ce plan. De plus, il faut tenir compte des conditions climatiques spécifiques de la vallée, particulièrement fermée : les vents y dispersent peu les rejets. De son côté le maire de Contes, Françis Tujade, s'est opposé au brûlage des pneus.'Afin de favoriser la concertation, le préfet a suscité la création d'une Commission Locale d'Information et de Surveillance (CLIS) qui rassemble les services de l'Etat, des associations de riverains et des représentants de l'usine. L'arrêté préfectoral autorise le brûlage de trois types de déchets industriels : les boues des stations d'épuration des parfumeurs de Grasse, la combustion d'huiles usagées en substitution de fuel lourd et la valorisation matière, c'est à dire la substitution de minerais par des résidus analogues comme l'alumine.Dioxine or not dioxine ?'Toutes les mesures réalisées démontrent que le brûlage des déchets industriels ne modifie ni le volume, ni la nature des émissions gazeuses, et donc n'a pas d'impact négatif sur l'environnement',déclare Thierry Legrand. 'Sous la surveillance de la DRIRE, nous effectuons des contrôles rigoureux : contrôle de chaque camion à l'arrivée, contrôle des émissions à la cheminée : NOx, SO2, CO, poussières, oxygène. Les études prouvent également que l'activité cimentière ne génère pas de problèmes de dioxines, qu'elle valorise ou non des résidus. Les niveaux enregistrés sont nettement inférieurs au seuil de 0,1 ng/Nm3 fixé par le Ministère de l'Environnement.''Pour s'assurer de l'absence de risques côté dioxines, il faudrait faire des mesures complémentaires : non seulement des rejets dans l'air, mais aussi des dépôts au sol, car la dioxine n'est pas biodégradable et a tendance à se concentrer dans certaines parties du sol, comme la radioactivité', précise Jean-Raymond Vinciguerra. 'Nous allons demander une subvention au Ministère de l'Environnement dans ce sens.'Il estime également que cette activité de brûlage des déchets par les cimenteries est provisoire : 'La législation européenne va évoluer, et à terme le brûlage des DIS en cimenterie sera certainement supprimé. L'avenir est à des sites plus spécialisés, comme il en existe déjà à Fos-sur-mer, Merex et Solamat'.De son côté Lafarge répond : 'La réglementation européenne reconnaît la filière de valorisation en cimenterie. En France comme dans d'autres pays européens, l'activité de brûlage des déchets n'est pas concurrente de l'incinération. Elle s'applique à certains résidus sélectionnés alors que d'autres relèvent des incinérateurs.'Lafarge : moins de poussièresLe directeur de l'usine de Contes rappelle que cette activité de brûlage, malgré le tollé qu'elle a provoqué, reste très marginale pour Lafarge : 'Notre métier, c'est avant tout la fabrication du ciment !'Il souligne les efforts fait par Lafarge en matière d'environnement : 'Nous avons beaucoup investi, tant pour limiter les émissions de poussières que pour reverdir les carrières. Concernant les poussières canalisées (provenant de la cheminée), les émissions ont été divisées par 4 en 10 ans. L'usine respecte la norme fixée par l'arrêté préfectoral (35 mg/m3), anticipant ainsi la norme qui s'imposera à l'ensemble des cimenteries françaises en 2001 (actuellement de 50 mg/m3).' 'Il reste certes des progrès à faire sur la réduction des poussières diffuses, générées par les stockages et les mouvements de matière. Nous avons lancé un programme de 5 millions de francs pour réduire ces émissions : installation de nouveaux dépoussiérages, bardage des stocks de produits intermédiaires, amélioration de l'étanchéité des transporteurs... Côté carrières, certaines zones qui ne sont plus exploitées sont rendues à leur aspect initial : une partie de la carrière du Pont-de-Peille a été réaménagée avec la création de petits lacs et la plantation de 2000 plants d'essences méditerranéennes'.