Peille : la troisième carrière de Vicat
La cimenterie met en avant de nouvelles techniques d'exploitation. Mais les riverains préfèreraient voir l'avenir dans le tourisme vert que dans le béton…
Concernant Vicat, le problème est différent. Là, c'est une volonté d'expansion des carrières qui suscite la grogne des riverains. Plusieurs associations ont tenté de faire obstacle aux ambitions du cimentier : Défense et sauvegarde des sites de Peille, Les Amis de l'Escarène, Equilibre à Blausasc, le Comité de défense et de l'équipement des quartiers de Mardaric, St Pancrace, Les Camps, Route des Tres (CV5).Procédé d'exploitation novateurElles ont intenté des recours pour empêcher l'extension de la carrière actuelle de Vicat sur la carrière des Clues (Blausasc-Peillon) mais ont été déboutées par le tribunal administratif, au motif que le site est considéré comme industriel. L'autorisation d'exploitation a été renouvelée et étendue en 1997. Les associations ont fait appel, le jugement est en cours.L'exploitation d'une nouvelle carrière par Vicat sur le site de Santa Augusta, sur la commune de Peille, proche du territoire de l'Escarène, autorisée par un arrêté préfectoral du 19 mai 1999, inquiète aussi beaucoup les riverains. Le déboisement du sommet de la colline a commencé, les travaux vont durer dix-huit mois, mais la carrière de calcaire sera déjà exploitable courant 2000.'Ce projet a fait l'objet d'une négociation avec les autorités locales et les associations de défense de l'environnement',explique Thierry Meilland-Rey, directeur des carrières. 'Une commission de suivi d'exploitation a été créée, elle rassemble les représentants de l'Etat, des communes et des associations locales. Nous avons largement pris en compte les doléances des associations dans la définition du projet. Cette carrière va être exploitée selon un principe particulièrement novateur : une fosse va être creusée au sommet de la colline. L'exploitation se fera à l'intérieur du cratère, ce qui va considérablement limiter les nuisances, en terme de bruit, de vibrations dues aux tirs de mines, d'émission de poussières comme de dégradation du paysage'. 'Un compresseur sera installé au fond d'un puits de 250 mètres. Une galerie souterraine de 400 mètres de long débouchera directement sur la carrière des Clues, afin de limiter les transports par camion. Les gros engins seront hélitreuillés : ce sera une première en France ! Ces procédés représentent pour Vicat à la fois une performance technique et des investissements lourds.'Un site pourtant protégéRassurées par ces engagements, deux associations ont déposé les armes, acceptant de signer une convention avec le cimentier qui exclut toute poursuite de leur part. L'association de défense du CV5 a décidé de continuer ses actions en justice.'Nous avons déposé un recours auprès du tribunal administratif pour dénoncer les nombreuses irrégularités du dossier's'insurge Ginette Brouillard, présidente du comité de défense du CV5. 'Il est étonnant par exemple de constater que la commune de Peille a complètement modifié son plan d'occupation des sols. Conformément au Schéma Directeur d'Aménagement et d'urbanisme de Menton, cette colline était classée en zone N.D, c'est à dire une zone protégée, un espace boisé jugé de qualité et jouant un rôle important dans le tourisme et la protection de la nature. Or il se retrouve soudainement classé en zone susceptible d'accueillir une activité industrielle !' 'Autre incohérence : le SDAU de Menton autorise l'extension ou la création de carrières dans les espaces naturels dans la mesure où elles s'avèrent indispensables aux besoins locaux. Or une part importante de l'activité de Vicat est tournée vers l'exportation. Les habitants de Peille, l'Escarène et Blausasc doivent-ils subir sans protester de nouvelles nuisances - tirs de mines, poussières, circulation de camions porteurs d'explosifs, route barrée... - pour permettre à Vicat d'augmenter ses bénéfices ? Vicat pourrait faire venir du calcaire d'ailleurs, d'autant plus que rien ne prouve que le calcaire de Santa Augusta sera de bonne qualité.'Tourisme vert contre bétonL'association se désole également de voir ce site défiguré, à cause de son intérêt à la fois historique et environnemental : la colline, couverte de feuillus, de chênes verts, de pins d'Alep et d'essences méditerranéennes, est un lieu de promenade apprécié. Elle abrite des vestiges qui témoignent d'une habitation très ancienne : grotte préhistorique, ruines d'une basilique du XIème, chapelle du XVIIIème... Vicat promet de respecter les vestiges présents sur la colline : 'Nous travaillons sous le contrôle de la Drac (Direction régionale des affaires culturelles)', plaide Thierry Meilland-Rey.'A l'heure où le tourisme vert est de plus en plus en vogue , nous aimerions voir les vallées du Paillon valorisées plutôt qu'encore abimées', rétorque Ginette Brouillard. 'Ces dernières années sont marquées par le renouveau de l'activité touristique, grâce au patrimoine architectural et culturel très riche du haut Paillon. L'église baroque de l'Escarène est un des joyaux de la Route du Baroque, son Festival de musique ancienne attire chaque été beaucoup de mélomanes, le village perché de Peillon séduit les touristes du monde entier... Une association comme ADO, à l'Escarène, fait preuve d'un grand dynamisme en organisant des circuits autour de l'huile d'olive : elle a créé vingt emplois en trois ans. C'est bien la preuve que l'avenir n'est pas seulement dans le béton !'Et les tirs de mines ?De son coté l'Association de défense des copropriétaires du quartier de la Colette et de la commune de Peille, présidée par le commandant Mario Balestra, dénonce une incohérence : certaines parcelles ont été classées en zone rouge à la suite d'une enquête géologique réalisée par la DDE, au regard des risques d'éboulement qui pèsent sur le secteur. Dans le même temps Vicat poursuit ses tirs de mines et des travaux d'envergure.Plusieurs affaires opposent Vicat à des riverains qui imputent aux tirs de mines les fissures de leurs maisons. 'A l'heure actuelle tous les plaignants ont été déboutés',précise le directeur des carrières de Vicat. 'Nous sommes largement en deça des normes en vigueur en France, qui sont de 10 mm/seconde, alors que nos tirs ont une portée de 1 mm/seconde au maximum.'Comme Lafarge, Vicat s'est engagé à reboiser une partie de la carrière des Clues. 'Le problème avec les cimentiers, c'est qu'ils respectent rarement leurs engagements',déplore Jean-Raymond Vinciguerra. 'Avant d'ouvrir un nouveau front de taille, ils sont censés réaménager et reboiser les carrières qui ne sont plus exploitées, or ils le font rarement. L'impact sur l'emploi d'une carrière est minime, alors que les nuisances sont importantes.'