Dag Merino : pour un Knowledge Management humain
"Le but est de laisser la machine faire ce qui est passif et répétitif (capacité de calcul) et de laisser à l'homme ce qui implique intuition, créativité et capacité de réflexion."
Entreprendre les Hautes Technologies, jeudi 13 septembre, aborde le problème du Knowledge Management. Dag Merino, informaticien (ingénieur système), consultant et écrivain, spécialiste du KM (il travaille à la mise en place du site knooledge.net), interviendra sur l'implantation du KM en entreprise. Il y développera une vision du KM basée avant tout sur la culture de l'entreprise et l'individu plutôt que sur les seuls outils informatiques.- SN.com : A t-on déjà des exemples d'application du KM ? Dag Merino : De plus en plus d'entreprises fonctionnent en mode projet, avec tous les avantages que cela comporte. Mais une des conséquences du mode projet, tient dans la fragmentation de l'entreprise. Cette fragmentation vient pénaliser l'entreprise dans les circonstances où elle est vulnérable (turnover du personnel, changement de prestataire, bilan de projet, etc.). Cela se traduit par des pertes de capital intellectuel (savoirs-faire et expertise), qui à leur tour provoquent une baisse de la qualité. On voit donc ces entreprises chercher à maîtriser la connaissance dans certains domaines critiques pour leur activité (par exemple une SSII centrera ses préoccupations sur la conduite de projet, la documentation, le support technique, le help-desk et la création d'offres de services).- SN.com : La pratique évolue-t-elle rapidement ? Dag Merino : Le KM est resté longtemps focalisé autour de l'offre logicielle. L'implantation du KM a souvent été vue à travers l'achat d'une infrastructure informatique et n'a pas été centrée sur les utilisateurs. Ces derniers se sont en pratique, trouvés le plus souvent dans l'impossibilité de s'en servir. Le reproche que l'on peut faire à cette vision du KM, c'est qu'elle considère l'informatique comme le point de passage obligé pour communiquer et échanger le savoir. Les utilisateurs ont été forcés de se plier à des modes de travail qui ne sont pas à la hauteur de la réactivité humaine.Cette vision "technicienne" du KM part du principe que la machine est fiable, qu'elle n'altère pas les messages alors que l'homme serait subjectif et faillible. Mais l'on oublie de dire qu'une machine, aussi fiable qu'elle soit, ne saura faire que ce qu'un homme lui aura ordonné de faire et ce, pour des besoins qui n'ont qu'un temps. La machine est prise dans les glaces de sa programmation, tandis que l'homme peut s'adapter en permanence et est doté de créativité. Il est alors presque impossible d'évoluer.- SN.com : Comment la pratique du KM devrait-elle être conduite ? Dag Merino : Le but est de laisser la machine faire ce qui est passif et répétitif (capacité de calcul) et de laisser à l'homme ce qui implique intuition, créativité et capacité de réflexion. Un plan de KM devrait suivre trois axes principaux, avec pour fil conducteur la recherche de toutes les idées et pratiques qui permettent à la fois: a) à chacun de gagner du temps b) à l'entreprise de gagner de la cohésion et de l'unité.- SN.com : Concrètement ? Dag Merino : Dans la première étape, il s'agit d'aborder l'implantation de KM par le fonds culturel de l'entreprise plutôt que par les outils. Cela consiste à consulter les collaborateurs pour recueillir la mémoire de l'entreprise, connaître son système de référence, sa culture. Le "livrable", à cette étape, est une modélisation de la "culture de l'entreprise" (ce qui est différent de sa structure et de son découpage en secteur commercial, produit, réseau, finance, etc.). Il est possible ainsi de "visualiser" des notions abstraites et souvent non écrites, comme les pratiques, les traditions du métier, les attitudes qui sont propres à l'entreprise.La seconde étape consiste à articuler le système d'information de l'entreprise et la méthode de production de l'information des individus et des groupes de travail autour des éléments du modèle culturel. En quelque sorte, passer du système d'information de l'entreprise à son système de connaissance et dresser un schéma directeur de ce système de connaissance de l'entreprise.La troisième étape se joue au niveau des individus. Elle implique la levée des tabous enfouis (tabou du savoir, de la fonction, du pouvoir), qui sont autant de pièges pour la connaissance. Des méthodes doivent être données à chacun pourqu'il puisse se réapproprier les outils quotidiens (ordinateur mais aussi téléphone, rencontres physiques, conduites de réunion, relations clientèle, veille technologique, intelligence économique) et devenir un acteur du savoir performant.- SN.com : Mais sommes nous prêts pour cela ? Dag Merino : C'est une nouvelle éducation qui va de plus en plus s'imposer à mesure que l'on entre dans la société du savoir. Une société dans laquelle la connaissance devient la vraie richesse et la force motrice de l'entreprise. Les éditeurs de logiciels devront faire évoluer leurs produits dans le sens d'une meilleure adaptation à l'homme.Une préfiguration de cette tendance nous est donnée par le projet Oxygen du MIT aux Etats-Unis, projet d'envergure qui cherche à rendre enfin l'ordinateur plus humain. Actuellement, plusieurs start-up convergent vers le thème du "knowledge discovery", avec des approches nouvelles (l'état de l'art en la matière étant la technologie dite du "reverse computer" de la société Pertimm Inc.).