Trump Président : incertitudes et risques par un expert de l'EDHEC
Quelles seront les conséquences de la présidence Trump sur l’économie américaine et européenne ? Professeur de Finance de l'EDHEC, PhD, Noël Amenc a livré son analyse à Nice lors d'une conférence grand public rediffusée sur les autres campus de l'école. Conclusion : beaucoup d'incertitudes et des risques de retour de l'inflation par un déficit énorme de dépenses publiques ajouté à des baisses d'impôts.
Après une campagne d'une rare violence verbale, l'élection surprise de Donald Trump a suscité beaucoup d'interrogations et d'inquiétudes en France comme de par le monde. Nouvelle ère qui s'ouvre ? Simple changement de donne ? Quid pour l'Europe ? Pour éclairer les grands sujets économiques qui touchent les citoyens, l'EDHEC de Nice avait déjà, par le passé, cherché à apporter l'expertise de ses professeurs. Aussi la Business School a-t-elle monté spécialement lundi sur son campus une conférence pour répondre à une question brûlante : quelles seront les conséquences de la présidence Trump sur l’économie américaine et européenne ? Professeur de Finance reconnu et respecté, PhD, CEO ERI Scientific Beta, Noël Amenc s'est chargé d'apporter des éléments de réponse.
Un retour au protectionnisme ?
Premier élément à prendre en compte pour Noël Amenc : l'incertitude. "Dans les conditions particulières de la campagne, il est difficile de savoir si ce qui a été dit sera confirmé par les actes. Si oui, alors le changement s'annonce important : la première puissance mondiale, chantre du libre-échange, retournerait vers le protectionnisme. Sur ce point, les comparaisons qui ont été tentées avec le Brexit ne tiennent pas : la Grande-Bretagne, bien au contraire, n'a jamais cherché à réduire les flux commerciaux. Mais si les Etats-Unis rompaient avec cette vision de leadership mondial basée sur le libre-échange, vision stratégique qui a assuré sa croissance, ce serait un vrai bouleversement.
Une comparaison avec Ronald Reagan qui n'est pas pertinente
Noël Amenc retient deux objectifs principaux mis en avant pendant la campagne : créer 25 millions d’emplois sur dix ans ; porter le rythme de la croissance du PIB américain de 3,5 % à 4 %, en moyenne, contre 2 % actuellement. "Le programme économique, quant à lui, est ambitieux, mais flou. Il a été élaboré dans des conditions électorales particulières et préparé par ce qu'on pourrait appeler des "amateurs", qui ne sont pas porte-voix d’une idéologie, ce qui aurait eu alors le mérite de la cohérence. Sur ce terrain, certains comparent Donald Trump avec Ronald Reagan, un autre "amateur" porté à la présidence. La comparaison ne me semble pas pertinente : Ronald Reagan, avec la révolution libérale, s’inscrivait dans un courant de pensée structuré et s’appuyait sur une expérience pratique californienne. Ce qui n'est pas le cas ici."
Relance et réductions d'impôts
"Le programme économique comporte des éléments qui le renvoient à une politique de relance centrée sur la dépense publique d’investissement notamment avec un programme de mise à niveau des infrastructures de 1.000 milliards de dollars. Mais dans le même temps, des promesses de réduction d’impôts le rapprochent plus d'une politique libérale de relance fiscale avec une baisse de la tranche maximale de l’impôt sur le revenu de 39,6 % à 33 %, une réduction de l’impôt sur les sociétés à 15 %, contre 35 % actuellement, un abaissement de la taxation à 10 % des bénéfices étrangers rapatriés aux Etats.
Au total, cette réforme amputerait les recettes du budget fédéral de 6 200 milliards de dollars sur 10 ans. Avec le coût des intérêts, la dette publique s’envolerait de 7 200 milliards sur les dix prochaines années – soit un bond de 36 % – et de 21 000 milliards d’ici à 2036. (Source Tax Policy Center). Or, les analyses qui motivent ces deux politiques sont contradictoires avec d’une part, l'approche sur les bénéfices de l’endettement public (approche keynésienne) et d’autre part, une annihilation de ces bénéfices (équivalence ricardienne) par l’anticipation des futures hausses d’impôts.
Politique monétaire : des déclarations contradictoires
"Sur la politique monétaire le candidat Trump a enchainé les déclarations contradictoires. Deux exemples. "Elle [Janet Yellen à a tête de la Réserve Fédérale] devrait avoir honte" (CNBC, septembre, à propos de la politique de taux bas). "Je suis un adepte des taux d’intérêt bas. Si on les relève et si le dollar devient trop fort, nous allons nous retrouver face à de graves problèmes" (CNBC, mai).
Ici aussi les analyses qui sous-tendent sa politique économique sont contradictoires. En même temps, on veut relancer la croissance par les investissements mais on met l’économie américaine sous le risque d’une forte hausse des taux d’intérêt liés à l’inflation et à l’endettement. Pour l'Europe, cette hausse des taux américains serait une très mauvaise nouvelle car ils viendront contaminer les taux européens (0,4 de corrélation moyenne sur les taux longs). Le risque est aussi celui d’un retour du mix américain des années 80 avec fort déficit public et taux d'intérêt très élevé.
L'expulsion de 11 millions d'immigrés
"Le programme d’endettement massif des Etats-Unis rompt avec la doxa républicaine qui veut que toute dépense nouvelle soit financée, d’où probablement un recours massif aux PPP (Partenariats Public-Privé). Le GOP, le Parti Républicain, n’est pas non plus favorable à l’éviction de 11 millions d’immigrés qui sont pour la plupart des travailleurs et des consommateurs. Donald Trump est revenu sur ce chiffre et parle maintenant de 3 millions.
Mais dans un contexte de relance économique par la production intérieure, la disparition de la dynamique démographique immigrée serait une catastrophe pour le potentiel de croissance US. Il faut aussi tenir compte du fait que les Etats-Unis sont actuellement en situation de plein emploi (ce n'était pas le cas quand Reagan est arrivé à la présidence). Les "illégaux" sont pour la plus grande part des gens qui travaillent. Leur expulsion augmenterait les tensions sur le marché du travail et pousserait les salaires à la hausse. Ce serait un facteur d'inflation supplémentaire. Il viendrait s'ajouter à la stimulation de l'offre par la baisse des impôts et par l'augmentation des dépenses publiques.
Les logiques et conséquences du choix protectionniste
"A la différence de la majorité des Républicains Donald Trump n’est pas un adepte du libre-échangisme. Dans ce domaine, il garde une marge de manœuvre. Les traités de libre-échange n’empêchent pas le président de mettre en œuvre des mesures de sauvegarde prévues dans des législations déjà approuvées par le Congrès. Si la tentation protectionniste se confirme, elle conduirait à plusieurs changements. D'abord un arbitrage économique régional. Ce serait Rust Belt contre Sun Belt et notamment Silicon Valley. La Californie perdrait 600.000 emplois. Ensuite un renforcement de la culture immobilière en opposition à une culture de l’économie immatérielle et une approche de la réversibilité de la mondialisation fondée sur la domination économique et le marché intérieur. Ce serait aussi un pari risqué sur la valeur du dollar. Enfin une question se pose : est-ce que le reste du monde est prêt à financer le déficit américain qui se creuserait?
A long terme, cet isolationnisme économique conjugué à un isolationnisme diplomatique et militaire peut conduire à remettre en cause le statut particulier de l’économie américaine.
La France particulièrement exposée
Maintenant qu'il a été élu, Donald Trump devra gouverner. Que retiendra-t-il de ce qu'il a annoncé au long de la campagne ? Cela fait partie des incertitudes. Mais le risque pour les Etats-Unis est celui d'un retour de l'inflation par un déficit énorme de dépenses publiques ajouté à des baisses d'impôts et à une inflation apportée par une augmentation des droits de douane et un dollar plus faible. Pour les autres pays, ce serait une déflagration. Et particulièrement pour la France qui fait face à la fois à un double déficit : déficit budgétaire et déficit du commerce extérieur entrainant un gros besoin de devises."
Deux citations en conclusion
Et Noël Amenc de donner en conclusion deux citations, l'une version optimiste et l'autre plus pessimiste : "Le pire n'est pas toujours sûr" (Paul Claudel) et "Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal" (Edward A. Murphy Jr). A chacun de choisir.