Pierre Delaporte : la R&D dans le secteur des transports doit être une priorité

Posté lun 13/11/2006 - 06:50
Par admin

Pierre Delaporte : la R&D dans le secteur des transports doit être une priorité

"La R&D dans le secteur des transports doit être une priorité" : c'est le thème que Pierre Delaporte, président d'honneur d'EDF a traité lors de la récente conférence internationale de l'association eden à Sophia Antipolis. X-Ponts, celui qui fut pendant 14 ans directeur général de Gaz de France puis, de 1987 à 1993, président du Conseil d'administration d'EDF, préside maintenant de nombreux organismes, dont l’association "Espaces pour demain". Il continue de se passionner pour les problèmes de l'énergie planétaire, questions qu'il connaît sur le bout des doigts et dont il parle avec précision, humour et… énergie.

 

Voici le texte de son intervention à eden (les intertitres sont de la rédaction).

 

"Le secteur de l’énergie est un monde shakespearien, rempli de bruit et de fureur, d’affrontement entre des intérêts colossaux et de querelles d’experts souvent misérables et toujours acharnées.

 

"Pour la même dépense d’amélioration du rendement on économise cinquante fois plus d’énergie dans une centrale à charbon chinoise ou indienne que dans une allemande"

 

Bien entendu, les interventions des politiques n’y arrangent rien car elles relèvent trop souvent de la démagogie électoraliste du type « blocage des prix », attitude myope qui a trouvé son paroxysme dans la gabegie énergétique permanente de l’ex. URSS.

 

Je me souviens, en effet, de mon ahurissement au cours de mes premiers séjours à Moscou en constatant qu’un feu de la gazinière brûlait en permanence dans chaque logement pour allumer les cigarettes car, vendu au forfait et sans compteur, le gaz marginal était gratuit tandis qu’il fallait acheter les allumettes.

 

Cette malédiction a connu récemment un nouvel avatar (au sens indien du terme) avec les amendements délirants joints au projet de loi qui vient d’être adopté à l’Assemblée Nationale et dont l’objet principal est la fusion SUEZ-GDF. Je vous en épargne l’analyse en vous renvoyant à l’excellent article du professeur CHALMIN dans LE MONDE (publicité non payée) du 27 septembre dernier.

 

Heureusement, il existe aussi de remarquables exceptions et par exemple le plan dit Messmer, réponse française au premier choc pétrolier qui mérite 21 sur 20.

 

Pour éviter de tomber dans ce tohu-bohu rien ne vaut de partir d’un des rares consensus accepté dans le secteur : l’énergie la moins polluante est celle que nous ne consommons pas !

 

Il faut bien lire la moins polluante et non la moins coûteuse car le négawatt (mesure plaisante de l’énergie économisée) à un prix variable, très variable et souvent difficile à établir.

Exemples :

 

- «Ferme la lumière en sortant de ta chambre » était une recommandation pleine de bon sens pendant ma jeunesse. Elle est moins évidente dans un logement à l’équipement sophistiqué car l’apport de chaleur du à l’éclairage est pris en compte dans les équilibres globaux.

 

Conservons toutefois cet état d’esprit et n’ayons pas peur de quelques vieux slogans justifiant une température raisonnablement basse dans les lieux de travail : « il vaut mieux des travailleurs en pull-over que des chômeurs en bras de chemise »

 

- Par contre, il existe des vérités pérennes et il est par exemple de plus en plus exact que pour la même dépense d’amélioration du rendement on économise cinquante fois plus d’énergie dans une centrale à charbon chinoise ou indienne que dans une allemande.

 

"Il existe des priorités assez différentes de part et d’autre de l’Atlantique"

 

Nous arrivons donc à pied d’œuvre de notre réflexion.

 

Débarrassons-nous vite des définitions des mots clefs dont vous connaissez tous le sens :

 

La politique de l’énergie se résume à la poursuite d’objectifs clairs grâce à la mise en place de moyens adéquats : le meilleur exemple connu est le fameux plan « Messmer » que nous venons de mentionner.

 

La maîtrise de l’énergie désigne en fait la maîtrise de la consommation en énergie : maîtriser l’énergie c’est « faire des économies » d’énergie. Cela passe en particulier par une amélioration de l’efficacité des consommateurs d’énergie que sont les équipements électriques et les véhicules, cas dont nous reparlerons.

 

L’efficacité énergétique est une mesure simple associant par exemple n tonnes d’équivalent pétrole à p tonnes de ciment ou d’aluminium.

 

A même production industrielle plus la consommation d’énergie est petite plus l’efficacité énergétique est grande.

 

Ceci fait, abordons maintenant la question de fond à l’aide de deux éclairages croisés qui nous permettront peut-être d’aboutir à une synthèse.

 

CONSTATATION N°I – Il existe des priorités assez différentes de part et d’autre de l’Atlantique.

 

Pour faire court : en vue de perdurer dans l’ »American way of life » dont il ne faut jamais oublier qu’elle est outre-atlantique un impératif catégorique (parfaitement estimable d’ailleurs) les U.S.A. construisent leur politique de l’énergie sur deux pôles très forts :

 

La R et D et les progrès des technologies du secteur.

 

Des mécanismes de marché du type « bourse des droits à polluer »

 

- Les Européens, sans négliger ces deux points, attendent davantage des textes de tout niveau qui constituent des incitations (fiscales, par exemple) ou qui, au contraire, découragent les activités suivant qu’elles sont jugées (à tort ou à raison) allant dans le bon ou le mauvais sens.

 

Qui a tort, qui a raison ?

 

A cette étape de raisonnement, il n’y a pas de réponse.

 

Allons donc voir ailleurs.

 

"D’énormes progrès peuvent encore être obtenus dans la production, le transport, la distribution et l’usage de l’électricité"

 

CONSTATATION N°2 – Nous pouvons aisément montrer que les perspectives sont très contrastées entre « le fixe » et « le mobile"

 

Le « fixe » c’est tout simplement votre lampe de bureau, votre frigidaire et votre ascenseur mais aussi les installations de votre fournisseur de ciment et de fleurs coupées.

 

Le « mobile » c’est votre automobile et plus généralement tout le matériel du secteur des transports sauf le chemin de fer et, en partie, la voie d’eau.

 

Il existe une incroyable différence entre l’évolution des deux secteurs.

 

L’exemple le plus spectaculaire de ces évolutions contrastées est celui de deux faux jumeaux nés vers 1900 : l’éclairage électrique et la voiture automobile.

 

Si, en effet, nos voitures avaient fait autant de progrès que nos ampoules, vous iriez de Lyon à Nice avec un litre d’essence.

 

Le mot électrique a été lâché et la potion magique est bien là. En effet, d’énormes progrès peuvent encore être obtenus dans la production, le transport, la distribution et l’usage de l’électricité et donc dans le fixe. Il faut (et peut être, il suffit) d’incitations fortes aux meilleures pratiques. Un bon point donc pour l’approche européenne.

 

Bien sûr, nous pourrions (et même nous devrions) aller plus vite et plus fort dans les réductions de consommation mais le mouvement est lancé vers une division par deux (peut-être un jour par quatre) de la gourmandise de votre frigo et de votre éclairage.

 

Dans le mobile au contraire nous faisons du surplace.

 

Le véhicule électrique (ou électrifié) piétine. L’hybride est forcément onéreux du fait de sa double motorisation etc. …

 

Alors que faire ?

 

Réponse : Se fixer un impératif absolu qui est de réduire la place du pétrole dans notre consommation.

 

Comment ? D’abord en jouant sur tous les tableaux possibles et, dans ce domaine, le flex-fioule est au moins temporairement une voie excellente qui me permet de dire un peu de bien de notre gouvernement ce qui est rare et réjouissant.

 

"Aujourd’hui nous aimerions entendre : Avant 10 ans - le moteur à eau (l'hydrogène) sera opérationnel et compétitif"

 

Ensuite et surtout en faisant un pari fou.

 

Il y a un précédent dont j’ai déjà parlé ici-même, celui de JFK annonçant :

 

« Avant 10 ans un homme marchera sur la lune … »

 

"Aujourd’hui nous aimerions entendre : « Avant 10 ans - le moteur à eau (c’est une façon de parler de l’hydrogène sans s’enfermer dans une solution précise) sera opérationnel et compétitif ? "

 

Surgissent alors deux questions :

 

Pourquoi cette hâte ?

 

Et, qui pendra la sonnette au chat ?

 

A la première question, on peut répondre que l’énorme dîme prélevée par les producteurs sur le pétrole fait courir au monde un double danger. L’un, quantitatif, est actuellement supportable sauf pour les plus pauvres en ne freinant la croissance mondiale que de moins d’un point. L’autre, qualitatif, est redoutable car les masses énormes d’argent ainsi récoltées peuvent aboutir chez des gestionnaires avisés mais aussi dans des mains peu dignes ou pire devenir une arme pour des militants intégristes que peu de choses séparent de certains illuminés.

 

En clair, je veux dire que quand les revenus de l’or noir sont utilisés pour acheter des pommes de douche en platine ce genre de décision est ridicule bien sûr mais ne peut que réjouir les plombiers de toutes nationalités.

 

A contrario, nous pouvons nous inquiéter un peu quand une partie des profits de l’OPEP va à la construction de mosquées et de medersas et nous alarmer vraiment quand, franchissant la ligne jaune, cet argent arme et motive les intégristes wahhabites ou salafistes.

 

Je n’insiste pas là-dessus mais constate avec vous que 60 dollars le baril c’est deux fois plus que 30 !

 

Or que constatons-nous ? Réponse : jusqu’à maintenant rien où presque.

 

Alors que nos concitoyens ont peur de tout (sauf des loups soyons justes) et en particulier de la vache folle, du plombier polonais, des cendres nucléaires, des OGM, de la mondialisation et de la grippe aviaire, ceci pour me limiter à six trouilles au moment d’HALLOWEEN, ils restent impassibles devant la pluie d’or qui remplit les cartouchières des fous de Dieu. Quis vult perdere Jupiter dementat.

 

A la seconde question, nous devons répondre en cherchant qui fera le pari d’un changement de vitesse en R et D. Les USA ? J’en doute, malgré les déclarations de GWB en 2003 : « Je souhaite que les enfants qui naissent maintenant passent leur permis de conduire (donc en 2019 aux USA) sur un véhicule utilisant un carburant non polluant et pas plus cher que l’essence… »

 

Il s’agit là d’un vœu pieux exprimé par le membre d’une famille qui aujourd’hui profite largement du baril d’or noir à 70 dollars …

 

Evidement pas l’OPEP, ce cartel qui fait l’objet d’une étrange mansuétude alors que sa façon d’agir (raréfier l’offre pour faire monter les prix) est punie de prison dans tous les pays civilisés, mais il est vrai qu’il est plus facile de neutraliser un pauvre voleur de poules qu’un riche pool de voleurs.

 

Sûrement pas la Russie qui vient de s’enrichir sans peine tout en poursuivant son immense gâchis énergétique qui confine au scandale avec, par exemple, des canalisations de chauffage urbain dépourvues d’isolant installées en plein air par –30°.

 

Alors Cui prodest ? Réponse : la bonne vieille Europe et probablement le Japon.

 

Voilà, en effet, un problème majeur qui mériterait que l’Europe de la recherche se mobilise totalement.

 

Sommes-nous trop vieux, trop résignés pour cela ?

 

Si oui, sauvez-vous et faites-vous naturaliser néo-zélandais.

 

 

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