A-t-on bien tiré toutes les conséquences de la crise financière qui a failli faire sauter l'économie de la planète ? Pour Noël Amenc, la réponse est non. Professeur de Finance, Directeur de la Recherche et du Développement à lEDHEC, et responsable de lEDHEC Risk and Asset Management Research Centre, il explique pourquoi dans une étude intitulée "Quelques réflexions sur la régulation de la gestion d'actifs pour vraiment tenir compte de la crise financière". Ce document, qui constitue une synthèse de travaux scientifiques conduits au sein de l'EDHEC, a le mérite de ne pas jouer la langue de bois. Il met ainsi en cause l'absence de réflexion sérieuse sur les causes de la crise financière de la part des dirigeants européens, notamment français et allemands. Selon l'EDHEC, en désignant les hedge funds, puis les ventes à découvert comme responsables de la déstabilisation des marchés, les dirigeants politiques et les régulateurs de marchés ont retardé la prise de conscience quant à la gravité de la crise et la faillite du système de régulation.
La mise en accusation simpliste d'une catégorie d'acteurs
"Du point de vue de la régulation de la gestion dactifs, lanalyse des dirigeants européens, notamment français et allemands, dans lété 2007 na pas été à la hauteur des enjeux de la crise financière que nous connaissons depuis deux ans" note d'emblée Noël Amenc. Et de donner comme illustration de cette absence de réflexion sérieuse les conclusions et résultats du dernier G20. "Lacharnement mis par madame Merkel et monsieur Sarkozy à obtenir des avancées concrètes sur la mise au ban des paradis fiscaux, considérés comme une des principales causes de la crise financière est emblématique du manque de cohérence intellectuelle de nos dirigeants".
"Comment affirmer que les paradis fiscaux sont des "trous noirs" de la finance mondiale dont on ne sait rien et dans le même argumentaire les rendre responsables dune crise systémique ou du moins de la déstabilisation des marchés ? Comment oublier que la crise est le résultat de pratiques dinstitutions financières soumises à des réglementations nationales ou internationales que lon considérait jusquici comme sophistiquées et efficaces pour maîtriser les risques tant des acteurs que de leurs activités ou des produits proposés aux investisseurs", écrit le responsable de la recherche en finance de l'Edhec.
Pour lui, la mise en accusation simpliste et sans preuve dune catégorie dacteurs ou de pays nest pas, la meilleure façon de faire avancer le débat sur la réglementation de la gestion dactifs. D'où la publication de cette étude à usage des régulateurs et des investisseurs en tant que contribution à une réflexion sur les nécessaires évolutions de la régulation de la gestion dactifs pour vraiment tenir compte de la crise financière.
Trois grandes questions posées
Trois grandes questions sont posées avec à chaque fois quelques réponses ou du moins de nouveaux éclairages.
1ère réflexion : réguler nest pas toujours sans risque. Chaque crise est loccasion de renforcer ou de prétendre renforcer la réglementation. Les dirigeants politiques y retrouvent une légitimité en montrant que le marché ne peut fonctionner sans eux et les professionnels, une virginité puisque le respect dune nouvelle réglementation permet de saffranchir des erreurs passées. Malheureusement, ces velléités réglementaires résistent mal à une analyse un peu sérieuse de la législation en vigueur", écrit Noël Amenc.
Il donne comme exemple lutilisation des dérivés de crédit. Apparue comme emblématique de cette crise financière, elle avait pourtant fait lobjet à la fois de règles de conduite et de bonnes pratiques définies au niveau international et de réglementations nationales. Ce qui na pas empêché des fonds extrêmement réglementés et conformes à la directive européenne UCITS 3 daccuser des pertes importantes alors quils étaient vendus comme des produits de trésorerie. Au final, la réglementation destinée à encadrer lusage des dérivés de crédit naura nullement protégé les investisseurs mais aura même eu l'effet inverse.
2ème réflexion : interdire nest pas toujours protéger. "La réglementation tant européenne que française des fonds dinvestissement qui prétend fixer des règles déligibilité des actifs et des classifications des différents types de fonds ne constitue pas une bonne approche de la protection des investisseurs et de la réduction des problèmes dasymétrie dinformation, objectifs qui justifient lintervention du régulateur. En effet, en conférant le statut dinformation officielle et vérifiée à des classifications qui ne sont pas établies à partir de critères financiers adaptés, la réglementation actuelle peut amener les investisseurs à pratiquer non seulement des allocations sous-optimales de leur portefeuille (exclusion injustifiée de fonds classés comme risqués) mais surtout à sous-estimer les risques des produits financiers qui leurs sont proposés".
3ème réflexion : un cadre conceptuel unique nest pas une bonne approche de la régulation de la gestion dactifs. "Depuis plusieurs années, tant la Commission européenne que les régulateurs domestiques européens nont eu de cesse de vouloir faire entrer dans un seul cadre conceptuel, voire juridique, les différentes formes dinvestissements. Cest sur ce point que se situent la principale difficulté et le fondement de la crise de liquidité des fonds dinvestissement" estime Noël Amenc. Et d'enfoncer le clou. "Lidée que la protection des épargnants et la modernisation du cadre réglementaire passent nécessairement par des fonds ouverts est une erreur de conception grave de notre réglementation. Seul le développement de fonds fermés dont les horizons de liquidation correspondent à ceux des actifs ou des stratégies sur lesquels ils sont investis garantira un développement sécurisé des investissements sur les classes dactifs peu liquides".
Conclusion de Noël Amenc ? "Nous pensons que cette crise devrait permettre de faire avancer la régulation tant dun point vue national que communautaire, à condition bien sûr que les régulateurs et les professionnels ne perdent pas de vue que lobjectif de la régulation nest pas de rassurer les investisseurs avec des règles faussement sécuritaires". Au final, c'est bien l'adaptation de la réglementation à la réalité des risques de l'industrie financière, qui renforcera la sécurité des investisseurs.
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