Erkki Liikanen, le croisé de l'e-Europe
'L'entrée dans la Société de l'information apportera des possibilités totalement nouvelles. C'est la fin de la distance. Des opportunités vont s'ouvrir pour les PME-PMI.'
En tant que Commissaire européen à l'Entreprise et aux nouvelles technologies, il gère l'avenir de l'Europe sur le Net. Autant dire l'avenir tout court de la Communauté européenne. Erkki Liikanen, qui préside le grand rendez-vous annuel de l'Europe high-tech, l'IST 2000 (Information Society Technologies) à Nice, se bat aujourd'hui pour une Europe connectée qui puisse rattraper l'écart qui existe encore dans certains domaines avec les Etats-Unis. Le programme e-Europe, adopté au sommet de Lisbonne en mars dernier, lui en donne les moyens. D'autant plus que ce programme est assorti, outre d'une volonté politique claire des quinze Etats membres, d'un financement à la hauteur des ambitions (le programme IST, représente 3 milliards d'euros et 800 projets soutenus).Quelle est la vision de ce croisé de l'e-Europe ? Comment compte-t-il pousser les feux européens ? Qu'est-ce qui le motive dans ce combat pour l'entrée de l'Europe dans la Société de l'information ? Autant de questions auxquelles il a répondu.- Quelle est la situation de l'Europe par rapport aux Etats-Unis dans ce basculement actuel vers la société de l'information ? Erkki Liikanen :L'Europe est en retard par rapport au taux de pénétration d'Internet dans les foyers. Ce taux est globalement moins élevé, bien que certains pays européens (Finlande, Suède), aient un taux plus important qu'aux Etats-Unis. Le second domaine dans lequel les Etats-Unis sont plus forts, c'est celui de l'esprit d'entreprise avec un marché financier de capital risque qui permet de pousser beaucoup plus rapidement à une sortie de nouveaux produits.En revanche, l'Europe est en avance sur la téléphonie mobile avec le GSM. Certes, nous avons peut-être trop annoncé sur le WAP. Mais il a l'avantage d'être très opérationnel pour les transactions bancaires. La facturation est simple. Aussi, le GPRS, qui va prendre la relève, représente une étape importante. Elle préparera vers la troisième génération de la téléphonie mobile.Autre domaine où l'Europe est bien placée : la télévision numérique. Grâce notamment à la France et à Canal +, les standarts europens sont très compétitifs.- Quels sont les freins que vous avez identifiés et les réponses qui ont été élaborées ? Erkki Liikanen :C'est vrai qu'en France, par exemple, la libéralisation de la Boucle Locale a été un frein. Mais le dégroupage se fera au début de l'année prochaine. A partir du 1er janvier 2001, nous allons dégrouper dans quinze pays européens. Les petites et moyennes entreprises pourront avoir un accès à l'Internet mobile pour un prix forfaitaire. Cela va accélérer l'utilisation Internet et permettre le développement européen du haut débit.Le second point sur lequel nous voulons aller vite, c'est la mise en place d'un cadre réglementaire, tout en évitant le sur-réglementaire. Mais il y a un besoin de sécurité des réseaux, d'une assurance sur l'identité, d'une sécurité contre les fraudes. La Commission européenne a beaucoup travaillé pour accroître la sécurité du e-commerce.Troisième point que nous considérons comme primordial : la formation. Les données statistiques montrent que dans les régions où les écoles ont été connectées, où les contenus ont été modernisés, le taux de pénétration de l'Internet est beaucoup plus élevé. Même dans les foyers modestes. Pour la fonction publique, la numérisation des services donne aussi des possibilités nouvelles d'autonomie aux personnes âgées, aux handicapés, aux malades qui peuvent bénéficier d'un traitement médical à distance.- La diversité culturelle de l'Europe et notamment l'existence de langues différentes, n'est-elle pas aussi un frein ? Erkki Liikanen :Cela a constitué sans doute un frein. Mais cette diversité culturelle représente aujourd'hui un atout dans l'Internet mobile. Elle permettra l'émergence de services personnalisés. 90% des internautes sont prêts à payer un service dans leur propre langue s'il est personnalisé. Aussi, le contenu sera le mot-clé à l'avenir. Le contenu sera 'roi'.Jusqu'à présent nous avons surtout parlé technologies. Nous avons désormais les terminaux qui sont capable de donner les accès Internet. Maintenant, il nous faut financer les énormes investissements effectués. Avoir quelque chose à vendre. Et pour cela, il faut du contenu. L'Europe, par rapport aux Etats-Unis, est très bien placée dans la TV numérique et dans la téléphonie mobile. Sa structure scolaire de base est meilleure. Si nous développons une réponse cohérente, nous pouvons assurer notre passage dans la société de l'information.- Ce que la Commission Européenne peut faire pour accélérer cette entrée dans la société de l'information ? Erkki Liikanen :Nous pouvons par exemple aider au 'benchmarking'. Utiliser la méthode d'étalonnage pour montrer les différents exemples d'utilisation de l'Internet à chaque pays européen. Mais ce qui est important, c'est qu'il existe aujourd'hui une volonté politique européenne très forte. Au sommet de Lisbonne, en mars dernier, a été lancé le programme e-Europe avec un nouvel agenda et une volonté commune de la part des gouvernements.Une soixantaine d'actions différentes, avec un calendrier strict que nous suivons de près ont été décidées. Nous allons vraiment travailler d'une manière proche avec les présidences successives de l'Europe : la présidence française qui a beaucoup poussé en ce domaine, puis la Suède et la Belgique. La première phase de l'e-Europe doit être terminée avant la fin 2002. Elle nous assurera une compétitivité en terme de taux de connexion.- Qu'attendez-vous de l'entrée dans la société de l'information ? Erkki Liikanen :Je suis convaincu que cette entrée apportera des possibilités totalement nouvelles à notre société. C'est la fin de la distance. De nouvelles opportunités vont se présenter pour les PME-PMI qui pourront devenir globales, l'esprit des gens pourra s'ouvrir grâce à ce qui est un extraordinaire instrument de formation, de culture. C'est un nouveau monde qui surgit. Le véritable risque aujourd'hui tient surtout dans le phénomène de fracture numérique.'