Constat 3 : une "pause technologique" risquée
Ces crises créent les conditions d'une "pause technologique" risquée pour les grands pays européens et particulièrement pour la France dans le domaine de l'Internet à haut débit.
La crise de confiance financière et la baisse d'investissement qui s'en est suivie entraîne une pause technologique.Celle-ci est particulièrement malvenue car elle intervient sur un arrière-plan dans lequel les principaux pays d'Europe connaissent , au-delà d'un sous-financement d'ensemble de leur recherche, un déficit encore plus important dans le domaine des nouvelles technologies.Dans le cas de la France, ce phénomène est aggravé par les lenteurs de déploiement de l'Internet à haut débit.1. Le sous-financement global de la recherche dans les grands pays européensest encore plus sensible dans les filières des télécommunications et de l'informatiqueOn sait que la France (2,2 %), l'Allemagne (2,3 %), le Royaume-Uni (1,9 %), l'Italie (1 %) et l'Espagne (1 %) consacrent une part moins importante de leur PIB à la recherche que les États-Unis (2,8 %), la Finlande (2,9%) ou la Suède (3,8 %).Mais ces données d'ensemble masquent des écarts de financement encore plus importants dans les domaines de l'informatique et des télécommunications.L'effort de recherche américain est principalement concentré sur deux secteurs -dont celui de la filière télécommunications-informatique- dans lequel la recherche duale (c'est-à-dire opérée par le département de la défense américain, et par la NASA pour l'espace, sur des programmes militaires mais largement conçus en fonction des besoins stratégiques des entreprises civiles) est déjà dix fois supérieur dans ce domaine aux efforts de recherche de l'Union européenne et des Etats qui la composent.Il serait urgent que la France prenne en Europe une initiative en vue de développer un financement de recherche militaire duale du même ordre que celui constaté outre Atlantique.De même, la Finlande, et, à un moindre degré, la Suède, concentrent-elles leurs efforts sur ces deux filières.Dès lors, beaucoup des personnalités entendues par vos rapporteurs ont insisté sur le fait que dans les deux secteurs particulièrement stratégiques que sont les applications Internet et les univers d'intelligence ambiante, qui irrigueront les activités économiques de la décennie à venir, les entreprises de ces pays, auxquels on peut ajouter Israël et le Royaume-Uni, sont en passe d'acquérir une avance qui pourrait, si l'on n'y prend garde, devenir irréversible.2. Le handicap français dans le domaine de l'Internet à haut débit.Le retard constaté en France sur l'usage de l'Internet classique s'estompe.Mais, ce décalage est relayé par un autre, aux conséquences tout aussi funestes : fin 2000, on comptait 18 millions de personnes en Amérique du nord raccordées à un réseau Internet à haut débit, 5 millions en Europe, dont seulement 190.000 en France.Le retard français procède de deux causes directes :- Un déploiement décaléL'opérateur historique français projette de relier, d'ici la fin de 2002, 80 % des utilisateurs potentiels en connexion à haut débit, soit avec un décalage de plus d'une année sur son homologue allemand qui prévoit d'offrir une connexion à 90 % des utilisateurs potentiels avant la fin de 2001 (le nombre d’utilisateurs réels passant de 700.000 en février 2001 – contre 190.000 en France - à une fourchette estimée entre 1,5 et à 2 millions à la fin de l'année).- Une absence de concurrencePar ailleurs, son modèle tarifaire de raccordement varie dans des fourchettes de 300 à 400 francs mensuels alors qu'il n'est que de 150 à 200 francs en Allemagne. Cet écart résulte des lenteurs précitées du raccordement mais également des multiples obstacles non directement tarifaires opposés par France Telecom au dégroupage de la boucle locale. Avec pour conséquence, aujourd'hui, que les seuls contrats de dégroupage, et donc de mise en concurrence, ne concernent que trois groupes sur les villes de Paris et de Lyon.Toutefois, à la décharge de l'opérateur historique, on peut estimer qu'au-delà du maintien d'une posture post-monopolistique, la lenteur de son déploiement en Internet haut débit et les entraves qu'il met à l'accélération du dégroupage de la boucle locale sont largement imputables à une situation financière obérée :- par le retrait de l'État de la recherche dans le secteur des télécommunications : où sont les deux milliards antérieurement affectés au CNET, auxquels s’ajoutait une somme équivalente de contrats de recherche-développement passés par France Telecom vers l’industrie et certaines structures de recherche ?- et, par une situation d'endettement directement générée par les coûts démesurés d'attribution des licences de troisième génération de téléphonie mobile dans les grands pays d'Europe.En prélevant sur le secteur des télécommunications, alors qu'auparavant on lui attribuait des subventions de recherche, on retarde la modernisation de notre économie et le passage de la France à la société de l'information, au moment même où celle-ci devient moteur principal de la croissance actuelle et future.Et, dès à présent, ce retard a des conséquences graves :a) La lenteur des délais de mise en œuvre décale la généralisation des usages de l’Internet à haut débit.On sait que l’acquisition de ces usages est une des conditions incontournables du passage à la société de l’information. Or, ceux-ci sont loin d’être acquis, même sur l’Internet de première génération. Et il ne s’agit pas, sur ce point, de transférer une pratique ancrée dans les comportements, comme cela s’est fait lors du passage de la téléphonie fixe à la téléphonie mobile, mais bien d’encourager, le plus rapidement possible, une révolution des comportements et des habitudes de chacun.b) de plus, son modèle tarifaire trop élevé se répercute sur l'ensemble de la chaîne télécommunications-informatique . Et, à ce titre, il retarde la constitution d'une offre de progiciels d'application innovants aux entreprises et surtout au grand public. Car les fournisseurs de services ne pourront assurer la rentabilité de leurs applications en-deçà d'une masse de clientèle suffisante et d'un tarif de raccordement assez bas pour autoriser d'autres dépenses.Sur ce point, on doit rappeler que l’avenir du modèle économique de l’Internet à haut débit dépend de l’assiette de son marché.Or, si l’accès aux services est trop cher, les usagers qui acquittent généralement une redevance télévision, des abonnements au câble, un abonnement téléphonique fixe ou mobile, n’ont pas des disponibilités financières illimitées.Fixer à un niveau trop élevé le prix du transport, c’est retarder l’achat de services et empêcher la constitution, dans notre pays, des entreprises correspondantes.Celles-ci iront s’installer ailleurs.c) enfin, on pose les conditions d’une double discrimination en matière d'aménagement du territoire :- sur les possibilités de raccordement , puisque seulement 80 % des usagers seront reliés d'ici à fin 2002, dont environ 85 % de façon totalement satisfaisante, ce qui correspond à une couverture réelle à peine supérieure aux deux tiers des usagers potentiels,- et sur les tarifs, car, pour une période de temps non négligeable, la concurrence n'opérera à la baisse sur le coût du raccordement que dans les très grandes villes.