Cannes 2015 : le triomphe du cinéma français
En raflant la Palme d’Or grâce à « Dheepan » de Jacques Audiard, mais aussi les Prix d’interprétation masculine et féminine avec Vincent Lindon dans « La Loi du Marché » de Stéphane Brizé et Emmanuelle Bercot dans « Mon Roi » de Maïwenn, le cinéma français a été le grand triomphateur hier soir du Palmarès du Festival de Cannes 2015 délivré par un jury présidé par les frères Coen.
Au terme d’un Festival de Cannes 2015 d’un bon niveau mais qui ne restera sans doute pas dans les annales en raison d’un manque de films véritablement coup de cœur, le jury présidé cette année par Joël et Ethan Coen a créé un peu la surprise en faisant un triomphe au cinéma français qui, s’il figurait en force avec 5 films dans la sélection concoctée par Thierry Frémaux, n’avait pas réellement la faveur des pronostics avant l’énoncé du palmarès.
La Palme d’Or pour Jacques Audiard
Le grand vainqueur de cette soirée a été Jacques Audiard qui remporte enfin la Palme d’Or après l’avoir frôlé en 2009 avec « Un Prophète », puis avoir été injustement oublié du palmarès en 2012 avec « De rouille et d’os ». Deux années où le jury avait récompensé des films de Michael Haneke d’où les remerciements adressés sur scène par le cinéaste français au réalisateur autrichien de ne pas avoir présenté cette année de film en compétition.
En l’absence d’Haneke, Audiard avait donc la voie libre pour triompher avec « Dheepan », un film fort mettant en lumière un conflit méconnu : la guerre civile qui fit des ravages durant des années au Sri Lanka. Du nom du héros du film, « Dheepan » raconte en effet l’histoire d’un combattant Tamoul qui, après avoir rendu les armes, va constituer une famille fictive avec une femme et une jeune fille pour obtenir plus facilement l’asile politique. Un stratagème qui fonctionne puisque tous les trois se retrouvent bientôt en France où Dheepan devient gardien d’immeuble dans une cité sensible de la banlieue parisienne, totalement sous le contrôle de petits trafiquants de drogue. Malgré la barrière de la langue et le choc culturel, le trio cherchera à s’intégrer mais Dheepan finira par retrouver le chemin de la violence pour faire face aux petits caïds qui mettent en péril la paix qu’il est venu chercher et la nouvelle famille qu’il a fini par former.
Si la fin du film est sans doute contestable, cette Palme d’Or attribuée à Jacques Audiard n’est pas un scandale et récompense indéniablement un très grand cinéaste même si, paradoxalement, « Dheepan » n’est probablement pas son meilleur film.
La première et juste récompense de Vincent Lindon
Outre la Palme d’Or, le jury a également distingué le cinéma français en attribuant les prestigieux prix d’interprétation à Vincent Lindon et à Emmanuelle Bercot. Le choix de Vincent Lindon pour le Prix d’interprétation masculine n’est guère discutable tant il tire son épingle du jeu, tout en sobriété et en retenue, et parvient à susciter l’empathie du spectateur en dégageant une sorte d’énergie brute dans son rôle de chômeur de longue durée confronté à un dilemme moral pour conserver son emploi.
« La Loi du marché » de Stéphane Brizé raconte l’histoire d’un ouvrier au chômage depuis 20 mois qui, après 25 ans dans la même entreprise, a perdu son emploi parce que son patron a décidé de fabriquer le même produit dans un pays où la main d’œuvre est moins chère. Le film relate d’abord le chemin de croix d’un chômeur de longue durée confronté à un système inefficace qui souvent, même involontairement, vous humilie. Le personnage joué par Vincent Lindon encaisse les coups avec dignité et, pour subvenir aux besoins matériels de sa famille, finit par accepter un emploi d’agent de sécurité dans une grande surface. Même si on le sent souvent mal à l’aise dans son travail, il prend sur lui et fait son job consciencieusement. Mais la situation devient intenable lorsqu’on lui demande d’espionner ses collègues avec la volonté de pouvoir ainsi licencier du personnel afin d’augmenter les bénéfices de l’entreprise.
Face à des acteurs non professionnels qui exercent le même métier dans la vie que dans le film, Vincent Lindon donne une grande force à ce film qui met en lumière la brutalité du monde du travail et la façon dont ce système humilie les gens ordinaires et les poussent régulièrement à s’humilier eux-mêmes. Il démontre une nouvelle fois son très grand talent d’acteur et reçoit avec ce prix une juste récompense, d’autant plus belle pour lui que c’est la première qu’il obtient depuis le début de sa carrière.
La surprise Emmanuelle Bercot
Le prix d’interprétation féminine attribué à Emmanuelle Bercot est plus une surprise. Son interprétation dans « Mon Roi » de Maïwenn n’est pourtant pas en cause, tant elle est convaincante et lumineuse en femme qui se bat pour essayer de sauver une relation qu’elle sait mauvaise pour elle. Mais dans ce film, elle souffrait peut être un peu de la comparaison avec Vincent Cassel qui, lui aussi, bénéficiait d’un rôle en or dans lequel il éclatait dans la peau d’un séducteur hâbleur capable de vous embobiner, mais aussi souvent insupportable de légèreté et de cruauté. Malheureusement, Vincent Cassel devait faire face cette année à la redoutable concurrence de Vincent Lindon et Emmanuelle Bercot en a probablement profité, même si elle a montré un grand talent d’actrice qui vient s’ajouter à celui de réalisatrice que les festivaliers ont pu également découvrir dans son film « La Tête haute » projeté en ouverture du Festival.
Emmanuelle Bercotdoit tout de même partager son prix d’interprétation avec l’actrice américaine Rooney Mara qui elle aussi a créé la surprise car la critique s’attendait plutôt à voir récompensée Cate Blanchett qui partageait avec elle l’affiche de « Carol » de Todd Haynes. Mais le choix du jury n’est pas si illogique car, même si elle est moins connue que Cate Blanchett, Rooney Mara est totalement lumineuse dans ce film où elle incarne une jeune vendeuse qui va se laisser séduire par une grande bourgeoise à la beauté fatale, avant de s’affirmer et assumer ses choix, dans une Amérique des années 50 où les amours lesbiens étaient interdits.
Les autres films primés
Si le cinéma français est sorti grand vainqueur de cette édition 2015, d’autres cinématographies ont également été récompensées. Le Grand Prix du Festival a tout d’abord été attribué au jeune réalisateur hongrois Làszlò Nemes pour « Le Fils de Saul », un film choc qui plonge le spectateur au cœur de l’enfer de la solution finale en suivant au plus près le héros qui fait partie d’un commando de juifs hongrois chargés de travailler dans les chambres à gaz et les fours crématoires pour effacer les traces des crimes et préparer les prochaines exterminations.
Le Prix de la mise en scène a lui été décerné au cinéaste taiwanais Hou Hsiao Hsien pour « L’Assassin », un film d’une grande beauté formelle racontant l’histoire, dans la Chine du IXe siècle, d’une jeune justicière dont la mission est d’éliminer les tyrans et qui va devoir choisir entre sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec « l’ordre des Assassins ». Le cinéaste mexicain Michel Franco a lui obtenu le Prix du scénario pour « Chronic », un film assez éprouvant sur l’accompagnement des personnes en fin de vie, tandis que le prix du Jury a été attribué au cinéaste grec Yorgos Lanthimos pour « The Lobster », un film d’anticipation qui embarque le spectateur dans un monde totalement fou où les célibataires ont 45 jours pour trouver l’âme sœur sous peine de se transformer en animal.
Les oubliés du palmarès
Inévitablement, comme chaque année, le palmarès laisse de côté de bons films qui auraient mérité d’y figurer. Pour cette édition le principal oublié est le cinéma italien qui pourtant revenait en force avec 3 films dont deux ont véritablement marqué les esprits. L’absence la plus remarquable est celle de « Mia Madre » de Nanni Moretti qui avait pourtant bouleversé La Croisette avec l’histoire d’une réalisatrice confrontée à un tournage difficile, mais surtout à la maladie de sa mère qui est en train de vivre ses derniers instants. Un film émouvant mais capable aussi de faire rire avec la prestation délirante de John Turturro en mauvais acteur. Le jury a sans doute considéré que faute de donner la Palme d’Or à Nanni Moretti qui l’avait déjà obtenue en 2001 pour « La Chambre du fils », une autre distinction ne servait pas à grand-chose, ce qui finalement peut très bien se concevoir.
L’autre grand absent du palmarès est « Youth » de Paolo Sorrentino qui était déjà reparti bredouille de Cannes en 2013 avec « La Grande bellezza » qui se rattrapa par la suite en remportant de nombreux prix dont l’Oscar du meilleur film étranger. Avec « Youth », une belle réflexion sur le temps qui passe, portée par deux immenses acteurs : Michael Caine et Harvey Keitel, Paolo Sorrentino aurait sans doute mérité d’être récompensé mais c’est un peu la dure loi du Festival de Cannes que de faire des déçus chaque année.