Avis RH : le présentéisme n'est pas forcément bon pour la santé...
Ceux qui viennent travailler même lorsqu'ils sont réellement malades (ce qu'on appelle le "présentéisme"), ne rendent service ni à eux ni à leur entreprise, explique Stéphane Richard, Spécialiste Analytique RH, membre du comité scientifique HAVASU à Sophia Antipolis. Dans cet avis d'expert, intitulé "Présentéisme : les présents aussi ont parfois tort", il en donne les raisons en précisant bien qu'il ne s'agit pas pour autant d'inciter les salariés à se porter pâles plus souvent.
Avec près d’un demi-milliard de jours d’absence pour motif de maladie ou d’accident du travail en 2014, les préoccupations des entreprises se tournent légitimement vers les moyens de réduire l’impact de l’absence sur leur activité. Quitte souvent à en oublier les présents… Statistiquement, selon l’entreprise considérée, entre 30% et 50% "seulement" des salariés connaissent une absence dans l’année. Quid alors des autres, de la majorité ? On peut penser que s’ils ne sont pas absents, c’est parce qu’ils ne sont pas malades. Ce sont de sacrés chanceux, car souvent les mêmes d’une année sur l’autre qui passent à travers les gouttes. Peut-être sont-ils aussi en excellente santé ?
La démographie ne plaide pourtant pas pour eux : pourquoi y aurait-il tant de séniors, plus d’hommes que de femmes, plus de managers que d’employés dans cette population à la "santé de fer" ? La réalité c’est qu’une partie d’entre eux n’ont pas d’absence parce qu’ils vont travailler même lorsqu’ils sont malades et qu’un arrêt se justifierait médicalement. C’est ce que l’on appelle le présentéisme.
Petite mise en perspective de ce phénomène.
S’absenter du travail, avant même de recevoir une justification médiale, est un choix volontaire, personnel (lorsque la maladie est bénigne, évidemment). De fait, même lorsque cela se justifierait, certains y renoncent. Pourquoi ?
Une première raison qui amène certains salariés à renoncer à l’arrêt c’est son coût. Il est vrai qu’en l’absence de prise en charge complémentaire au régime général, la perte de salaire en cas d’absence maladie peut être conséquente. Cela concerne principalement des employés/ouvriers, avec de bas salaires, et souvent en CDD.
Bon nombre de salariés concernés par le présentéisme n’entrent toutefois pas, loin de là, dans cette catégorie. Il s’agit cette fois plutôt de cadres, souvent d’âge mûr (et souvent des hommes), en responsabilité d’une équipe, pour lesquels le coût de l’absence est nul. Les motifs pour lesquels ils renoncent à l’arrêt sont bien différents. Pour l’essentiel, il s’agit de salariés qui pensent que leur devoir est de ne pas s’absenter, par principe ou parce qu’ils considèrent que les conséquences seraient trop négatives pour l’entreprise : désorganisation de leur équipe, insatisfaction client, perte d’opportunités commerciales…
L’entreprise doit-elle se réjouir de ce "dévouement" ? Est-ce bénéfique pour elle ?
A première vue, oui. Réduire l’absence, dans un contexte où elle prend des proportions considérables, semble bienvenu. Mais à y regarder de plus près, promouvoir le présentéisme peut se révéler une mauvaise opération.
On ne s’en préoccupe guère qu’en période d’épidémies, mais un salarié malade sur son lieu de travail représente un risque aggravé de contagion et finalement d’accroissement de l’absence des autres. Au-delà de la santé des autres, le salarié présentéiste prend également le risque de dégrader la sienne. De nombreuses études médicales mettent en évidence l’influence de ce comportement sur le développement de pathologies graves, physiques (dont, par exemple, maladies cardio-vasculaires) et/ou psychologiques (dont dépression et burnout). La réponse coûte que coûte aux impératifs de l’organisation risque ainsi fort de mettre un jour le salarié hors d’état de la servir plus longtemps. Sans compter que le salarié malade est significativement moins performant : la perte de productivité associée au présentéisme est estimée à plus de deux fois le coût de l’absentéisme.
On peut difficilement inciter les salariés à prendre plus d’arrêt de travail, mais force est toutefois de reconnaître que, parfois, les présents aussi ont tort.
Sébastien Richard