Fondation Maeght : Bernard-Henri Lévy et les aventures de la vérité
La Fondation Maeght présente, jusqu’au 11 novembre, "Les aventures de la vérité", une exposition thématique sur la confrontation entre la peinture et la philosophie pour laquelle elle a donné carte blanche à Bernard-Henri Lévy. Durant près de deux ans, le philosophe s’est attelé à cette tache avec passion et a traduit ces aventures de la vérité en un récit, allant des grecs jusqu’à nos jours, illustrés par 160 œuvres, sorte de résumé de la beauté du Monde, qu’il a choisies une à une et que, presque miraculeusement, il est parvenu à réunir le temps d’un été sur les cimaises de la Fondation Maeght.
Bernard-Henri Lévy présentant avec brio l'exposition qu'il a conçue sur "Les aventures de la vérité".
Jusqu’au 11 novembre à Saint-Paul de Vence, la Fondation Maeght présente Les aventures de la vérité, sans doute l’exposition la plus attendue de cet été sur la Côte d’Azur. A l’instigation de son Directeur Olivier Kaeppelin, la Fondation a en effet donné carte blanche à Bernard-Henri Lévy pour concevoir une exposition thématique sur les rapports entre la peinture et la philosophie. Durant près de deux ans, cet habitué de Saint Paul de Vence et de la Fondation, s’est pris de passion pour ce projet qui, selon ses dires, lui a permis de vivre l’une des plus belles aventures de sa vie. Deux ans de bonheur, ponctués de nombreux moments d’intense émotion, à choisir une à une les 160 œuvres exceptionnelles qui proposent un va-et-vient entre art ancien, art moderne et art contemporain. Grâce à sa force de conviction et au prestige de la Fondation Maeght qui elle-même prête souvent ses oeuvres, il n’a miraculeusement pratiquement eu aucun mal à réunir pour un été les trésors de ce qui constitue un peu son musée imaginaire. Un musée qu’il a organisé sous la forme d’un récit relatant Les aventures de la vérité autour de la confrontation durant des siècles entre la peinture et la philosophie. Une confrontation au corps à corps pour briguer la prééminence dans la connaissance, du langage ou de l’image.
Une chronique en sept séquences
Un récit en sept séquences dont la première est intitulée La Fatalitédes ombres. BHL embarque le visiteur à une époque où, sous l’influence de Platon, les philosophes parviennent à rejeter hors de la Cité les peintres, renvoyés dans leur caverne du côté de l’ombre et du simulacre. A l’aide d’œuvres, entre autres, de Joan Miro, de Tal Coat ou d’Andy Warhol, cette séquence illustre la manière dont le peintre va s’accommoder de cette malédiction. Mais plusieurs siècles plus tard, les peintres vont finir par rendre sa dignité à l’image en fomentant une sorte de coup d’état qui va leur permettre de renverser la table et de prendre le pouvoir. Ils le feront grâce à une fable : l’histoire de Véronique, cette jeune juive qui à la sixième station du Calvaire offre son voile au Christ et voit s’y imprimer son visage. L’image peut être sainte, donc elle devient légitime. Dans cette section 2 de l’exposition, les représentations ou les interprétations de l’image de Véronique sont nombreuses, depuis celle d’un peintre flamand anonyme du XVe siècle, jusqu’à celle de Pierre et Gilles, deux artistes contemporains héritiers du pop art, en passant par celle de Francis Picabia ou d’Antoni Tàpies.
L’invention d’un autre monde
Après avoir redressé la tête, les peintres vont emprunter une Voie royale en brisant l’aveuglement dans lequel l’humanité était plongée, et en éclairant les choses les plus mystérieuses de la condition humaine. La section 3 relate d’abord une sorte d’histoire de l’œil à travers un masque de Picabia, un boxeur aveugle de John Baldassari ou des sculptures de Marcel Jean et de Marina Abramovic qui se répondent à travers le temps. Les peintres vont ensuite s’intéresser au corps et à ce qui se trame à l’intérieur, comme Tiepolo et son Étude de main ou Rubens et son Étude anatomique. Eclairer les mystères de la condition humaine passe aussi par montrer ceux d’un dernier souper avec 3 versions de La Cène, antichambre du sacrifice de la crucifixion, magnifiquement représentée par Jackson Pollock et Jean-Michel Basquiat.
Mais même si elle est sur La Voie royale, la peinture va se remettre en question sous l’influence de Nietzsche qui va renverser la perspective. Les peintres ne vont plus chercher à rivaliser avec les philosophes mais vont se poser de nouvelles questions et inventer un autre monde. Après l’Être, place au Contre-Être et à l’Art affranchi de toutes ses tutelles. Ce thème de la section 4 est illustré par des œuvres de Kandinsky, de Mondrian ou de Giorgio de Chirico, l’artiste nietzschéen par excellence. Cette invention d’un nouveau monde comporte le risque d’accoucher d’un cauchemar. Un risque que n’a pas voulu esquiver Bernard-Henri Lévy en montrant plusieurs représentations de Lénine par Arman ou Goerg Baselitz. La création d’un monde nouveau pose aussi la question de l’origine du monde illustrée cette fois par une œuvre d’Anselm Kiefer, créée spécialement pour cette exposition à la suite de longues conversations entre l’artiste, BHL et Olivier Kaepplin.
Une lutte à mort entre deux mondes
Maintenant que les peintres ont créé un nouveau monde, une lutte à mort va s’engager contre les philosophes, tenant de l’autre monde. C’est cette lutte, qui s’est produite lors du siècle dernier, que vont retracer les sections 5 et 6 de l’exposition. Dans un premier temps, les peintres vont prendre le dessus et enfermer la philosophie dans un tombeau comme le montrent des toiles d’Alexis Rothmann, de Paul Delvaux ou la Pietà de Cosmè Tura, convulsion du corps supplicié en même temps que mise à la torture des représentations du désastre que la théologie, donc la philosophie avait pu produire jusque-là. Les peintres font alors preuve de drôlerie, parfois cruelle, comme chez Magritte invitant Hegel à partir en vacances ou lorsqu’ils se moquent de Socrate, transformé un Ubu par Félix Valloton.
Les Maîtres de la philosophie qui se retrouvent aussi représentés dans Le Grand Renfermement de Pierre Klossowski ou dans La Datcha, une oeuvre collective qui montre Claude Lévy Strauss, Michel Foucault, Roland Barthes, Jacques Lacan reçu dans une datcha par Louis Althusser, le maître à penser de BHL. Au moment où les peintres semblent avoir pris le dessus, la philosophie va lancer une contre offensive et reprendre le terrain perdu sur cet art qui pensait s’être affranchi. C’est La revanche de Platon quand la philosophie vient dire aux artistes qu’il faut en finir avec le culte du beau. C’est l’avènement du Dadaïsme et du Surréalisme avec Marcel Duchamp et André Breton en figures de proue, prolongé plus tard par des œuvres d’Yves Klein ou de Sol LeWitt pour arriver aux Directives de Guy Debord, véritables anti-tableaux dans lesquels l’artiste n’hésite pas à barbouiller sur l’œuvre du peintre.
Une aventure qui se termine par une grande alliance
Comme dans un grand roman de capes et d’épées, cet extraordinaire récit picaresque de Bernard-Henri Lévy se termine dans l’ultime séquence par une grande alliance entre la peinture et la philosophie où l’on voit les peintres faire penser les philosophes et les philosophes aimer les peintres. Une alliance qui raconte différentes expériences de pensée et de formes où les deux mondes vont s’interpénétrer sans que chacun ne renonce à son camp. Dans cette salle, l’art ancien continue de dialoguer avec l’art moderne et contemporain comme avec cet Adam et Eve de Cranach l’Ancien ou ce Portrait de gentilhomme de Le Tintoret, deux chefs d’œuvre du XVIe siècle qui répondent à un diptyque d’un peintre américain contemporain Kehinde Wiley représentant Jean Paul Sartre et Franz Fanon. Une grande alliance illustrée également par des œuvres de d’Alberto Giacometti, d’Henri Matisse, de Valerio Adami ou de Francis Bacon. Des artistes qui donnent une bonne idée de l’extraordinaire richesse de cette exposition consacrée aux Aventures de la vérité. Une profusion qui aurait presque pu donner le tournis, mais le grand mérite de Bernard-Henri Lévy et des équipes de la Fondation Maeght est non seulement d’avoir réussi le tour de force de réunir dans un même lieu toutes ces œuvres inestimables qui constituent un résumé de la beauté du Monde, mais aussi d’être parvenu à donner une belle cohérence à cette exposition. Un pari qui était loin d’être gagné d’avance.
Les aventures de la vérité – Peinture et philosophie : un récit. Commissariat Bernard-Henri Lévy- Fondation Maeght – Saint-Paul de Vence. Du 29 juin au 11 novembre.