Déclin des abeilles : l'INRA met en cause un insecticide
Pourquoi les abeilles meurent-elles en masse ? Une étude menée avec des micropuces RFID collées sur 650 abeilles, a permis d'établir qu'une faible dose d'insecticide suffisait à perturber leur orientation et leur faire perdre le chemin du retour à la ruche, provoquant ainsi leur mort. Numéro 1 mondial de l'agrochimie, le groupe suisse Syngenta a contesté ces résultats.
On aperçoit la micropuce RFID, collée sur l'abeille pour permettre aux scientifiques de suivre en permanence son chemin. Photo © Inra / C. Maitre
Connait-on désormais la véritable raison du déclin des abeilles ? Le rôle néfaste des insecticides avait déjà été avancé. Mais sans preuves formelles. C'est pourquoi le résultat de l'étude menée par une équipe de recherche française multipartenariale pilotée par l'INRA (Institut national de recherche agronomique) a connu un formidable retentissement. Publiée dans la revue Science vendredi dernier, le 29 mars, elle a été reprise par l'ensemble des médias, chaînes de télévision en tête.
Le rôle d'un insecticide dans le déclin des abeilles mis en évidence pour la première fois
Pour la première fois, en effet, cette étude a mis en évidence le rôle d’un insecticide dans le déclin des abeilles. Cela non pas par toxicité directe, mais en perturbant leur orientation et leur capacité à retrouver la ruche. Une faible dose d'insecticide se montrait suffisante pour désorienter les abeilles et provoquer ainsi leur perte.
Démonstration. Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont collé des micropuces RFID sur plus de 650 abeilles. Ils ont ainsi pu constater l’importance du non-retour à leur ruche des butineuses préalablement nourries en laboratoire avec une solution sucrée contenant de très faibles doses d’un insecticide de la famille des "néonicotinoïdes", le thiaméthoxam, utilisé pour la protection des cultures contre certains ravageurs, notamment par enrobage des semences. Une simulation basée sur ces résultats laisse penser que l’impact de l’insecticide sur les colonies pourrait être significatif.
Jusqu'à présent, les questions sur le déclin des populations de pollinisateurs, qui touche les abeilles domestiques comme leurs homologues sauvages (bourdons, osmies, etc.), se trouvaient sans véritable réponse. Un "mystère" qui a conduit tous les acteurs concernés à unir leurs forces. Ainsi, chercheurs (INRA, CNRS), et ingénieurs des filières agricoles et apicoles (ACTA, ITSAP-Institut de l’abeille, ADAPI) ont, dans le cadre d’un partenariat pluridisciplinaire sur l’évaluation du déclin des abeilles, étudié le rapport entre l’ingestion d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes et la mortalité des butineuses. Leurs travaux montrent que l’exposition à une dose faible et bien inférieure à la dose létale de cette molécule entraîne une disparition des abeilles deux à trois fois supérieure à la normale.
Le fabricant du Cruiser OSR incriminé conteste les résultats
La réplique de l'industrie chimique n'a toutefois pas tardé. Le site Web Maxisciences.com a publié une réaction du groupe suisse Syngenta. Il conteste les conclusions des études scientifiques françaises et britanniques selon lesquelles le thiaméthoxam, présent dans le Cruiser OSR, se révèle destructeur pour les abeilles. Pour le numéro un mondial de l'agrochimie, l'étude de l’Inra qui porte sur le Cruiser OSR utilisé sur le colza, comporterait "deux biais fondamentaux" dont une dose administrée dans le cadre de l'expérimentation qui serait 30 fois plus importante que celle prise en butinant.
Reste que l'étude de l'INRA est très significative. Le ministère a aussi demandé un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire d'ici à fin mai, avant la nouvelle campagne de semences de juillet, note Maxisciences.com, avec, en cas de confirmation des résultats, un retrait de l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR, l'insecticide incriminé.
Lire l'article de Maxisciences.com : "Syngenta conteste les effets de son pesticide Cruiser sur les abeilles"
Une méthodologie innovante à base de micropuces RFID collées sur le thorax des abeillesPour réaliser leur étude, les scientifiques ont utilisé une méthodologie innovante : des micropuces RFID ont été collées sur le thorax de plus de 650 abeilles, ce qui a permis de contrôler individuellement leur entrée ou leur sortie de la ruche grâce à une série de capteurs électroniques. La moitié des individus a été nourrie avec une solution sucrée contenant une dose très faible d’insecticide, comparable à celle que les abeilles peuvent rencontrer dans leur activité quotidienne de butinage de nectar sur une culture traitée. L’autre moitié, le groupe témoin, a reçu une solution sucrée sans insecticide. L’ensemble des 650 butineuses a ensuite été relâché à 1 kilomètre de leur ruche, une distance habituelle de butinage chez les abeilles domestiques. En comparant les proportions de retours à la ruche des deux groupes d’abeilles, les chercheurs ont évalué le taux de disparition imputable à l’ingestion du produit testé. L’équipe a mis en évidence un taux significatif de non-retour à la ruche des abeilles, par un phénomène de désorientation dû à l'intoxication à faible dose. Lorsqu'elle est combinée à la mortalité naturelle, cette disparition liée à l'insecticide aboutit à une mortalité journalière de 25% à 50% chez les butineuses intoxiquées, soit jusqu'à trois fois le taux normal (environ 15% des butineuses par jour). Afin d'évaluer l'impact de l’augmentation du taux de mortalité en période de floraison, ces valeurs ont été introduites dans un modèle mathématique simulant la démographie des colonies d'abeilles. Les résultats montrent que si la majorité des butineuses étaient contaminées chaque jour, l'effectif de la colonie pourrait chuter de moitié pendant le temps de la floraison – et jusqu'à 75 % dans les scenarii les plus pessimistes. Ce déclin démographique serait critique, à une période où la population de la colonie devrait atteindre un maximum, un préalable nécessaire au stockage de réserves alimentaires et à la production de miel. Cette désorientation a donc le potentiel de déstabiliser le développement normal de la colonie, ce qui peut en outre la rendre vulnérable aux autres facteurs de stress que sont les pathogènes (varroa, Nosema, virus) ou les variations de la disponibilité des ressources florales naturelles. Cette étude indique ainsi qu'une exposition des abeilles butineuses à un insecticide néonicotinoïde pourrait affecter à terme la survie de la colonie, même à des doses bien inférieures à celles qui conduisent à la mort des individus. À court terme, les partenaires de l’unité mixte technologique PrADE (Protection des Abeilles Dans l’Environnement) en lien avec les instituts techniques agricoles concernés ARVALIS-Institut du végétal et CETIOM (deux instituts techniques spécialistes des grandes cultures et notamment maïs et colza), mèneront des expérimentations en grandeur réelle, dans les conditions des pratiques culturales y compris pour la phase d’administration de l’insecticide, en utilisant cette même technologie RFID de suivi individuel des abeilles. |